Dorothée Le Bargy, fondatrice du “Verre Doseur” à Vannes : “Être entrepreneure nécessite d’être persévérante, d’avoir une réelle capacité d’adaptation”

Par un bel après-midi, en flânant dans les rues de Vannes, j’ai été attirée par une boutique insolite et nouvellement implantée : « le Verre Doseur ». Dès la première impression, j’ai eu envie d’y entrer car la vitrine y était chaleureuse et amusante. Dans cette épicerie, le client a l’impression de « jouer à la marchande » : il se sert, pèse, découvre des produits de qualité mis en valeur dans d’élégants bocaux, qui rendent les courses à la fois joyeuses, utiles et ludiques. Mais chaque consommateur a aussi et surtout la maîtrise de ses achats : le client se transforme en acteur et c’est un des points forts de ce bel endroit. Dorothée Le Bargy, sa fondatrice, s’est prêtée avec bonne humeur au jeu des questions-réponses sur son parcours et sur la création de cette boutique « zéro emballage ». Une jeune femme engagée qui avec sagesse, simplicité, et grand professionnalisme, sait démontrer que le commerce peut rimer avec utilité et responsabilité. À déguster sans modération.    

 

 

– Dorothée, tu as beaucoup bougé avant d’arriver ici à Vannes… Peux-tu me raconter ton parcours ?

 Oui, je suis normande d’origine et une fois ma maîtrise de commerce en poche, j’ai rapidement travaillé dans la grande distribution en tant que responsable de secteur. Après avoir habité notamment le Nord, j’ai eu envie de partir ; aussi j’ai décidé de voyager pour découvrir le monde et apprendre l’anglais. Mon choix s’est porté sur l’Australie où j’ai vécu une année en faisant de petits boulots. J’ai alors habité en colocation et voyagé dans un véhicule break qui me permettait de dormir sur place.

De retour en France, le goût du voyage m’a amenée à occuper des postes dans le tourisme ; j’ai alors travaillé quelques saisons en qualité de responsable d’accueil, jusqu’à décrocher un CDI… que j’ai fini par rompre parce que j’avais envie de me réaliser autrement.

En 2009, j’ai traversé l’Amérique du Sud, le Chili, l’Argentine, mais je n’y ai pas travaillé car il y a déjà peu d’emplois pour les locaux dont la vie est difficile. Pour finir, j’ai eu envie de me poser, d’où mon arrivée dans le Morbihan.

 

-Comment est venue ton idée de commerce ? Comment t’es-tu formée ?

 J’ai toujours voulu créer mon entreprise, mais en accord avec certaines valeurs qui me correspondaient et qui s’étaient ancrées au cours de mes voyages : la protection de l’environnement, une sensibilité au gaspillage, un certain regard sur le monde où la fraternité et le partage ont une place déterminante, etc. Ce sont tous ces paramètres qui m’ont fait me tourner vers la vente sans emballage. Le déclic s’est opéré en 2016 à la lecture d’un article de presse sur le sujet.

J’ai alors commencé par effectuer des stages dans des épiceries existantes, à Rennes et à Nantes. Ces expériences m’ont permis d’enrichir et d’approfondir mon projet de création.

« Le « sans emballage » correspond à une démarche citoyenne et ludique.”

– Le fil des étapes du montage de ton projet est très atypique : peux-tu nous en dire davantage ?

 J’ai en effet commencé à chercher les producteurs locaux et les fournisseurs avant de trouver un local. Cette seconde étape de recherche d’espace sur Vannes a été fastidieuse : j’y ai consacré 6 mois. Le quartier où je suis aujourd’hui installée m’attirait, je voulais y proposer une offre alimentaire complémentaire. Néanmoins il n’était pas libre, j’ai donc fini par me décourager et par chercher ailleurs (sur Auray)… lorsqu’en octobre 2017 il s’est libéré. Lorsqu’on m’a appelée à ce sujet je n’y croyais plus, mais j’avais 24 heures pour donner ma réponse et je n’avais pas l’accord des banques. Contre toute attente, j’ai obtenu mon prêt, un samedi matin… au moment où je ne m’y attendais pas.

Préalablement à cet accord bancaire, côté finances, j’ai obtenu un prêt d’honneur  d’un montant de 10 000€, après avoir défendu mon dossier devant le jury d’Initiative Vannes pour convaincre.

Une fois la signature actée, il a fallu tout enchaîner rapidement : transformer le local, acheter les meubles, contacter les producteurs  locaux et les fournisseurs, établir les tarifs, créer le site internet, trouver le nom… Le tout en quelques semaines, alors que mes prédécesseurs étaient dans les locaux. J’ai ouvert le 1er mars 2018.

 

– Tu es la seule à proposer ce service à Vannes. Depuis l’ouverture de ton commerce, que peux-tu nous dire de cette expérience ?

 Je suis ravie ! Les choses se mettent en place doucement, j’ai même recruté quelqu’un pour cet été et j’accueille des stagiaires ou des porteurs de projets comme on l’a fait pour moi. Mes confrères commerçants m’ont très bien accueillie.

Ma clientèle pour l’instant est constituée de 90% de femmes. Je compte surtout des vannetais qui résident en centre-ville ; des restaurateurs commencent aussi à venir.

« Le Verre Doseur » propose des produits secs comme du riz, des pâtes, des légumineuses, mais aussi des bonbons, des pâtes de fruits, des tisanes, des produits d’hygiène… Le client se sert seul, mais je lui propose, s’il n’en a pas, des bocaux et des contenants en textile. Je suis aussi investie dans le circuit de la monnaie locale, “la bizh”.

– Où et comment te fournis-tu ? Y a-t-il des règles spécifiques concernant la vente en vrac ?

 Chaque producteur local a son histoire et chaque produit la sienne ; c’est ce que j’aime privilégier. La recherche et la prospection représentent environ 30 % de mon temps. Je peux aussi bien aller à Colpo près de Vannes que dans les monts d’Arrée dans le Finistère : c’est à chaque fois une rencontre.

Comme tout commerçant je suis assujettie à la traçabilité, or en vrac c’est plus complexe à gérer. Par exemple ce contenant d’amandes : il m’en reste peu mais je ne suis pas autorisée à le remplir avant qu’il ne soit vide. Tant que je n’ai pas écoulé ce lot, je ne peux le mélanger avec un autre. Il faut il faut être très vigilant et garder toute trace des numéros des lots : même les tickets clients sont différents pour cette raison. Il y a donc une importante logistique à respecter. D’autre part, je tiens particulièrement à ce que cela soit irréprochable en matière d’hygiène : tout est nettoyé scrupuleusement.

– Tu as également accordé beaucoup de soin dans l’esthétique du Verre Doseur ? Et pourquoi ce nom ?

Oui, il faut que l’épicerie soit chaleureuse, que les clients s’y sentent bien, un peu comme  chez eux. Le « sans emballage » n’induit pas que ma boutique soit triste et mal agencée : je tiens beaucoup à cet aspect. Ici les clients restent plus longtemps car souvent ils découvrent, il faut alors que le cadre leur plaise. Dans cette même logique, je propose des horaires plus larges que d’habitude : de 9H30 à 14h et de 15H30 à 19h15.

Quant au nom, cela n’a pas été évident mais c’est une étape plutôt récréative dans le montage du projet. C’est faisant un tiramisu, avec un verre doseur, que j’ai eu le déclic. Cet objet représente la mesure, l’idée de la gradation, exactement les principes de ce type de vente. Je ne voulais pas que le mot “vrac” apparaisse dans mon nom car je craignais que cela soit mal perçu.

– Peut-on dire qu’il y a une dimension pédagogique dans ta boutique ? Acheter en vrac n’est-il pas plus coûteux pour le consommateur ?

 Le « sans emballage » correspond à une démarche citoyenne et ludique. Il est important de guider le client, d’où mes explications inscrites à l’entrée du magasin. Il faut aussi bien connaître ses produits : je les ai donc tous testés ou fait tester avant de les proposer à la vente.

Contrairement à ce qu’on croit ce n’est pas plus cher, car on achète uniquement la quantité dont on a besoin, on ne stocke pas, donc on ne gaspille pas. De plus, en achetant en petites quantités on peut découvrir de nouvelles saveurs sans risque.

 

-Quelles sont à ton avis les qualités nécessaires pour être chef d’entreprise ? Que penses-tu du réseau Femmes de Bretagne ?

Être entrepreneure nécessite d’être persévérante, d’avoir une réelle capacité d’adaptation. Je pars du principe qu’en face de toute demande, il doit y avoir une solution à proposer. Enfin il faut avoir du plaisir dans ce qu’on entreprend.

Ayant moi-même été soutenue et aidée par un réseau, je ne peux qu’apprécier la démarche de Femmes de Bretagne.

« Le Verre Doseur »  5, Place du Poids Public à Vannes / 06.81.53.91.46 / leverredoseur@gmail.com page facebook / instagram / le site

Un entretien mené par Dominique Thiam, fondatrice de La Boîte à Méthodes