« C’est [une entrepreneure] qui m’a appris à prendre ma place, à la manière d’une mentor. Surtout dans ce milieu plutôt masculin, elle m’a incitée à m’affirmer ».

Il est un lieu récent qui a déjà tout d’un grand. Le Reuz, l’espace de travail partagé partenaire de Femmes de Bretagne, souffle sa première bougie en ce début d’année 2019. Pourtant, Irelle Kouakou, sa gérante, a compris depuis des mois déjà que le rôle de cet endroit multiple ne se résumerait pas à l’accueil des travailleurs indépendants et isolés. 

 Un bilboquet trône devant une pléiade de bouquins. « La fille de papier », dit l’un. « J’ai épousé un inconnu », répond l’autre. Sur une étagère voisine, la pochette du 45 tours des Misérables interpelle. Et si l’on s’affaisse sur le fauteuil qui paraît directement tiré d’un road-movie des années 70, on savoure alors l’occasion d’admirer les œuvres exposées sur le mur d’en face. Autant que la concentration débordante des coworkers, jamais dérangés par les cliquetis du clavier du voisin ou les conversations qui s’échappent discrètement du bureau adjacent. Celui d’Irelle Kouakou, gérante et fondatrice du “Reuz” à Vannes, un espace de travail partagé « funky », au look industriel et cosy. Pour la déco, c’est Lug Maillard qu’il faut saluer, associé d’Irelle et gérant d’un atelier de menuiserie. Pour l’ambiance, c’est Madame et son cerveau bouillonnant d’idées créatives et d’énergie contagieuse. De bonne humeur également, une valeur non-négociable de cette entrepreneure de 28 ans, au parcours de vie qui dépote autant qu’il détonne.

« C’est [une entrepreneure] qui m’a appris à prendre ma place, à la manière d’une mentor. Surtout dans ce milieu plutôt masculin, elle m’a incitée à m’affirmer ».

« Mes parents ont tout perdu à la suite des guerres en Côte-d’Ivoire, ils se sont battus pour que l’on ait une belle vie. Réussir, c’est une façon d’être reconnaissante envers ma famille. Martin Luther King a formulé cette phrase qui m’habite au quotidien :  » Si tu ne peux pas voler, alors cours. Si tu ne peux pas courir, alors marche. Si tu ne peux pas marcher, alors rampe, mais quoi que tu fasses, tu dois continuer à avancer, »  confie Irelle, à l’image de ses expériences riches et nombreuses. Née en Côte-d’Ivoire, elle quitte le pays à l’âge de 16 ans, pour rejoindre sa mère biologique au Québec. Une nation qui lui a « tout appris ». La dureté du labeur et la magie des rencontres notamment. En parallèle de ses études de droit et sociologie puis du triptyque communication-cinéma-médias, Irelle Kouakou bosse « 40 heures par semaine ». Un quotidien dense qu’elle désire pimenter davantage. Une envie de voyage la chatouille alors. Son périple initialement européen se fige finalement en Bretagne, pour rejoindre Lug qu’elle vient de rencontrer. En France, elle se heurte à la pénibilité des refus de CV, malgré sa solide expérience québécoise à des postes à responsabilité. Un profil atypique, une personnalité rafraîchissante.

 Un détour par Abidjan pour se repositionner ; et voilà qu’une opportunité alléchante se présente, chargée de « meetings, incentives, conferencing, exhibitions » auprès de personnalités publiques et entreprises d’envergure. Elle seconde une entrepreneure menant finement son affaire. « C’est elle qui m’a appris à prendre ma place, à la manière d’une mentor. Surtout dans ce milieu plutôt masculin, elle m’a incitée à m’affirmer ». Mais l’amour rappelle Irelle en France. Déterminée à travailler, elle planche sur la marque de vêtements qu’elle rêve de créer. Passionnée de mode, elle imagine des modèles qui seraient tissés par des couturières ivoiriennes managées par sa mère, avec des matières nobles et locales. Mais le projet, complexe de par les contraintes géographiques et le manque de financements, est abandonné. « À ce moment, je vivais à Sarzeau chez ma belle-mère, et avec des copines qui nourrissaient également des projets, on s’est dit qu’il nous fallait un lieu pour travailler sereinement. » Émerge alors le besoin et l’envie de dégoter un endroit à partager. La seule réponse qu’Irelle reçoit émane du propriétaire de l’actuel local du Reuz. Un hangar en friche. « Il a été emballé par notre projet, il souhaitait une initiative qui ravive le quartier de la gare et nous a encouragées à le faire. » En octobre 2017, les statuts sont déposés alors que l’essence même du Reuz n’en est qu’à ses prémices. S’ensuivent trois mois de travaux avant l’ouverture en janvier 2018.

« Notre mission c’est de proposer et de concevoir des expériences locales du bien-être et du bien faire ensemble »

Aujourd’hui, plus qu’un espace de travail partagé, le Reuz est un lieu inédit d’expérimentations locales, économiques et culturelles. « Notre mission c’est de proposer et concevoir des expériences locales du bien-être et du bien faire ensemble. On lance toujours l’idée seuls, puis on se retrouve à 3 ou 4 sur le projet. » Le Reuz est devenu cet espace épatant constitué de six lieux (un local de travailleurs nomades, l’espace sédentaire disposant de bureaux à louer, une boutique faisant office de salle de réunion disponible à la demande, un toit conçu comme lieu de détente et deux petits espaces de rencontres) où un seul état d’esprit triomphe : l’intelligence collective au service des expériences. C’est ainsi qu’Irelle a imaginé des apéros « Potluck », des petits-déjeuners façon « before », des afterworks « Speak & Moov », un week-end vide-dressing (un grand succès), un concours adressé aux métiers de la communication (les candidatures sont ouvertes jusqu’au 15 mars)… Plus qu’une liste, il faut venir expérimenter, échanger, apprécier. « Grâce au Reuz, j’assume ma personnalité, mon style vestimentaire. Ceux-là même qui m’ont valu des refus de CV quelques années en arrière. J’ai aussi compris que toutes les rencontres permettent de mieux vivre sa vie. »

  Si Le Reuz est partenaire de Femmes de Bretagne depuis le dernier trimestre 2018, Irelle côtoie le réseau depuis son envie d’entreprendre, en 2016. Elle accueille ainsi des ateliers animés par la coordination vannetaise. « À Vannes, j’ai réalisé qu’il y avait une foule de femmes qui prenaient le temps de rêver et croire en leurs projets, ça m’a boostée. » Ses conseils pour les entrepreneures en devenir ? Poursuivre sur leur lancée pour s’assurer de se lever le matin avec envie et détermination. Aussi, ne pas craindre les faux pas, les questions, les doutes. Ils permettent de rebondir. Ne pas s’effrayer de démarrer de zéro, car c’est précisément ce qu’a fait Irelle, sur un territoire qu’elle ne connaissait pas. Pourtant, elle est désormais présidente de la commission « Entrepreneuriat au féminin » pour le Morbihan, une structure de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises). « La première fois que je me suis retrouvée face à une assemblée de trente femmes, je me suis sentie toute petite. Puis finalement, peu importe l’âge, l’expérience ; on a toutes des problématiques similaires. On se sent toutes seules et isolées malgré notre famille et nos réseaux. » Alors, tout a pris du sens pour Irelle qui a d’abord cru à « une blague » quand on lui a proposé cette responsabilité. Une opportunité certaine, mais surtout, un cercle d’entraide supplémentaire. Ce qu’elle promet également à toutes celles et tous ceux qui pousseront la porte du Reuz.

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Un portrait écrit par Léonie Place, Fondatrice de Scribeuse à Vannes (56)

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